LAISSEZ NOUS JOUER !
Je suis artiste de théâtre. Mon métier c’est de créer des spectacles et de les jouer.
De partager ma vision du monde, poétisée, « drôlisée », avec mes contemporains. Cet art, et cette fonction, est indispensable à notre société, le théâtre étant l’un des derniers endroits de liberté autorisée où se réunissent des humains pour s’émouvoir, réfléchir, rire ensemble. C’est vrai qu’il y a un autre endroit libre où se réunissent des gens, c’est la caisse des supermarchés ; mais enfin l’émotion n’est pas la même, et le réveil de l’intelligence et de la sensibilité s’y pratique moins, n’est ce pas ?
Cela fait deux, trois ans, qu’il devient plus difficile pour nous artistes de théâtres d’exercer notre métier. Baisse des subventions, intervention des élus dans la programmation…
Et voilà que cette année je décide d’aller jouer à Avignon, au Festival Off. Location du théâtre, location de logements, location de matériel technique, voyages, salaires, défraiements repas, assurance… C’est un budget. Un gros budget, que j’espère pouvoir récupérer en partie sur les entrées, et en tournée, plus tard en 2017-2018.
Le Festival Off est prévu dans le théâtre où je vais jouer, du 6 au 27 juillet. Je jouerai 22 jours, je ferai mon métier moins de 4 heures par jour (je compte la préparation), soit 28 heures par semaine. Avec cette densité horaire, je ne me sens pas surexploitée par ma tâche…
Or on nous impose cette année de faire trois jours de relâche, à raison d’une journée off tous les 6 jours. Car c’est dans le code du travail. Mais à quel travail ce code se réfère-t-il ? L’amende serait de 1500 euros par personne, si je n’applique pas ce devoir (le droit se transforme en devoir). Mais si je ne joue pas trois jours, je perds trois jours de recette !
Alors qu’il devient de plus en plus difficile de pouvoir exercer notre métier dans l’année, que nous avons de moins en moins de spectacles programmés, on nous demande de renoncer à travailler trois jours dans un festival qui coûte à ma compagnie plus de 50 000 euros.
Personne ne m’oblige à jouer, je ne me sens pas contrainte, ni exploitée de faire mon métier. J’y vais volontairement.
La France est un pays qui s’honore de sa culture, et de sa liberté, mais quand on applique des lois générales à des situations particulières, quand on ne peut pas affiner une règle en fonction de la spécificité des objets de son application, cela rend les choses désagréables, douloureuses, angoissantes…
Que dois je faire ?
Braver l’interdit et avoir peur de l’amende, ou bien me contraindre à appliquer une règle inique et être en colère ?
La peur ou la colère ?
Madame la Ministre, y a t-il une autre alternative à la peur et à la colère ?
Le sentiment d’être respectée en serait une.
Meriem Menant / Emma la clown